Le syndrome d'embolie graisseuse constitue une complication rare mais grave des fractures des os longs ou des polytraumatismes. Il est la conséquence de la dissémination de particules graisseuses dans la micro-circulation sanguine. Il peut entraîner en quelques heures ou quelques jours des troubles majeurs respiratoires, neuro-psychiques et cutanés, heureusement réversibles dans la majorité des cas.
L'embolie graisseuse, qu'est-ce que c'est ?
Définition
Une embolie graisseuse se produit lorsque des micro-gouttelettes de graisses insolubles obstruent de petits vaisseaux. Elle est le plus souvent localisée dans la circulation pulmonaire (embolie graisseuse pulmonaire). Cependant, des vaisseaux périphériques peuvent aussi être obstrués, par exemple au niveau ducerveau ou des reins (embolie graisseuse systémique).
De petites embolies graisseuses dans la micro-circulation peuvent passer inaperçues. Mais en traumatologie – rarement dans d'autres circonstances – l'obstruction vasculaire massive peut provoquer un syndrome d'embolie graisseuse, caractérisé par une détresse respiratoire, une altération des fonctions cérébrales et des perturbations hématologiques. La guérison est le plus souvent totale en 15 jours mais des séquelles respiratoires ou neuro-psychiques ne sont pas à exclure.
Causes
Le plus souvent, les particules de graisses pénètrent dans la circulation sanguine lorsqu'une fracture osseuse met en contact la moelle osseuse avec un vaisseau sanguin lésé. Plus rarement, la lésion initiale atteint des tissus mous comme le tissu adipeux de réserve ou le foie. Dans certaines conditions, les amas graisseux peuvent se former en l'absence de lésion.
Au cours du voyage des particules graisseuses, le poumon est le premier organe rencontré où elles se retrouvent bloquées dans la micro-circulation. Mais il arrive qu'elles parviennent à passer dans la grande circulation, dite circulation systémique, qui irrigue le reste du corps. L'obstruction des vaisseaux peut donc aussi se produire au niveau du cerveau, de la peau, de l'œil, ou encore des reins ou du cœur.
Des troubles de la coagulation sont responsables d'une aggravation de l'obstruction du réseau micro-circulatoire, conduisant à une interruption brutale de l'apport d'oxygène aux tissus (ischémie). L'action sur les amas graisseux d'une enzyme pulmonaire, la lipase, libère par ailleurs des acides gras toxiques provoquant des lésions tissulaires. Le syndrome d'embolie graisseuse résulte de l'ensemble de ces phénomènes.
Diagnostic
Le diagnostic est très difficile car les manifestations sont variables et peu spécifiques. Il repose essentiellement sur l'attention portée aux signes cliniques par le praticien.
Différents examens peuvent être utiles, sans toutefois permettre de confirmer avec certitude le diagnostic.
- La radiographie du thorax révèle parfois des opacités bilatérales dans les poumons, toutefois difficiles à distinguer des cas d'œdème pulmonaire.
- L'IRM cérébrale peut permettre de distinguer un amas graisseux important ou présenter l'image d'une constellation de lésions.
- Le fond d'œil peut mettre en évidence des dépôts scintillants correspondant aux globules graisseux.
- La mesure des gaz dans le sang mesure la chute du taux d'oxygène sanguin.
- L'examen hématologique (numération de la formule sanguine) révèle une anémie et une baisse du taux de plaquettes sanguines.
- Les analyses de sang et d'urine peuvent détecter la présence de gouttelettes graisseuses.
- Le lavage broncho-pulmonaire révèle certaines anomalies lipidiques.
Divers autres examens sont pratiqués en fonction des symptômes : scintigraphie pulmonaire, tomodensitométrie, électro-cardiogramme…
Les personnes concernées
Les embolies graisseuses se produisent chez les victimes de traumatismes dans 95 % des cas. Elles touchent plus souvent les hommes que les femmes, et préférentiellement des personnes jeunes. Dans 90 % des cas, elles ont subi une fracture d'un os long, localisée le plus souvent au niveau du fémur. Les fractures du tibia ou les doubles fractures de la jambe, et dans une moindre mesure les traumatismes multiples du bassin, du membre supérieur et des côtes peuvent aussi être responsables.
Rarement, l'embolie graisseuse survient après une liposuccion, un traumatisme hépatique, une greffe de moelle, une transplantation rénale ou encore chez les grands brûlés.
Les facteurs de risque
Chez les traumatisés, diverses situations favorisent la survenue d'embolie graisseuse :
- la multiplicité des fractures,
- la présence fractures fermées avec un important déplacement,
- un état de choc hypovolémique persistant;
- une mauvaise contention du foyer de facture,
- l'association à des lésions viscérales…
Certaines maladies constituent un terrain favorable aux embolies graisseuses :
- pancréatite nécrotique et hémorragique,
- stéatose hépatique alcoolique,
- diabète
- infections sévères…
Enfin, certaines situations médicales peuvent constituer des facteurs de risque : perfusion prolongée de propofol, mise en place d'une circulation extra-corporelle…
Les symptômes du syndrome d'embolie graisseuse
Signes précurseurs
Les premiers signes peuvent apparaître en quelques heures ou quelques jours. Une forte fièvre, une hausse de la fréquence respiratoire (polypnée), une anémie persistante ou encore un déficit du sang en oxygène (hypoxémie) sont susceptibles d'alerter les praticiens.
Manifestations respiratoires
Les manifestations respiratoires sont présentes dans plus de 90 % des cas, accompagnées d'une tachychardie. Elles se présentent sous la forme d'une respiration courte et rapide (tachypnée), de difficultés respiratoires (dyspnées), voire d'une insuffisance respiratoire aiguë ou d'un "cœur pulmonaire", c'est-à-dire d'un dysfonctionnement de la pompe cardiaque consécutive à l'augmentation de la pression dans les artères pulmonaires. Dans les cas les plus graves, elles entraînent un arrêt cardio-respiratoire.
Manifestations neuropsychiques
Ce sont principalement des troubles de la vigilance : désorientation, agitation, confusion, délire, coma…
Atteintes cutanéo-muqueuses
Des petites tâches rouges-violacées, les pétéchies, apparaissent très fréquemment entre le deuxième et le quatrième jour.
Les atteintes des muqueuses buccales et conjonctives sont fréquentes.
Les traitements du syndrome d'embolie graisseuse
Il n'existe pas de traitement spécifique.
Le traitement symptomatique est basé principalement sur la réanimation respiratoire. Les progrès de la prise en charge du syndrome de détresse respiratoire ont permis d'améliorer sensiblement le pronostic.
Prévenir le syndrome d'embolie graisseuse
En l'absence de traitement, la prévention a un rôle clé à jouer. Les fractures doivent être réduites si possible dans les 24 h qui suivent un accident. Les procédures chirurgicales doivent par ailleurs être adaptées aux facteurs de risque. La prise en charge de la douleur et du stress ne doit pas être oubliée.
L'efficacité des traitements médicamenteux préventifs, dont les corticoïdes, n'est pas confirmée.
Rédaction : Marielle Mayo, Journaliste scientifique,
Août 2018
Références
- Le syndrome d'embolie graisseuse, par O. Mimoz, P. Incagnoli, A. Edouard et K. Samii. Conférences d'actualisation 1997, Elsevier, Paris, et SFAR.
- Embolie graisseuse et syndrome d'embolie graisseuse, par C. Forster, M. Jöhr et J.-O. Gebbers, Forum Med Suisse, n° 28, juillet 2002.
- https://extranet.chu-nice.fr/.../1121_Embolie_Graisseuse-VALLI.pdf
- https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC4247737/
- https://www.ahajournals.org/doi/full/10.1161/circulationaha.114.010835