Les résultats d’une étude française montrent que les patientes atteintes d’une tumeur trophoblastique gestationnelle résistante à la chimiothérapie peuvent bénéficier de l’immunothérapie, avec des effets secondaires modérés. Une avancée dans le traitement de ces maladies gynécologiques rares.
L’équipe du professeur Benoit You, oncologue à l’hôpital Lyon-Sud, avait un premier objectif : "considérer qu’il n’y avait aucune raison que les patientes atteintes de tumeur trophoblastique gestationnelle ne bénéficient pas des progrès absolument fantastiques qu’on observe en cancérologie et notamment de l’immunothérapie". Leurs travaux, présentés lors du congrès international sur le cancer de l'American Society of Clinical Oncology (ASCO) qui s’est déroulé virtuellement du 29 mai au 2 juin 2020, constituent un véritable espoir dans le traitement quelque peu compliqué de ces maladies gynécologiques rares.
La maladie trophoblastique gestationnelle, qu’est-ce que c’est ?
La maladie trophoblastique gestationnelle (MTG) est une maladie qui se développe dans le placenta, à l’occasion d’une fécondation chez la femme enceinte. Une grossesse sur 1 000 est concernée. "La plupart du temps, la maladie va se traduire par le fait qu’au lieu d’avoir un embryon normal, on va avoir une tumeur qui se développe dans le placenta et dans l’utérus, explique le Pr You. Donc dans à peu près 90% des cas, la grossesse est remplacée par cette tumeur".
A ce stade, cette tumeur est appelée môle hydatiforme : il s’agit de la forme précancéreuse des tumeurs trophoblastiques gestationnelles (TTG) (qui sont elles malignes et font suite à environ 10% des môles hydatiformes). Il est donc impératif de la traiter. "Le traitement standard repose sur l’évacuation de la môle par curetage. Dans la plupart des cas grâce à cela, il y a une normalisation de l’hormone chorionique gonadotrope (hCG)", produite en tout début de grossesse dès la nidation de l’œuf dans la muqueuse utérine. La caractéristique de la MTG est en effet des concentrations particulièrement élevées d’hCG dans le sang.
Symptômes et diagnostic
Les symptômes de la MTG se traduisent souvent par des saignements de l’utérus appelés métrorragies. "Ils peuvent survenir au cours de la grossesse et après, et vont nous amener à faire une échographie qui va permettre d’identifier la présence de cette tumeur", précise le Pr You. L’élévation du taux d’hCG va également entraîner des nausées, mais ce symptôme est souvent masqué, "puisque l’hCG d’une grossesse normale peut aussi se traduire par des nausées".
Aujourd’hui, le diagnostic se fait donc la plupart du temps lors de l’échographie du premier trimestre "qui identifie une anomalie. La découverte est donc généralement fortuite. Et il faut savoir que le diagnostic peut se faire après l’accouchement, donc après une grossesse normale". Cela représente moins de 10% des cas. La môle hydatiforme est donc traitée après l’accouchement.
Quel traitement ?
Lorsque l’hCG persiste à des niveaux élevés dans le sang malgré un voire deux curetages de l’utérus, on parle désormais de TTG. Ces cellules persistantes devront être traitées par chimiothérapie. "Le pronostic est excellent, précise le Pr You. Ce sont des maladies hautement curables : on peut guérir 95% des patientes. Ceci est dû à la forte chimiosensibilité de ces maladies".
LE TRAITEMENT PAR MONOCHIMIOTHÉRAPIE
Néanmoins, il convient d’identifier deux cas de figure : les TTG considérées à bas risque de résistance à la monochimiothérapie (une seule molécule) et celles à haut risque de résistance. Cette classification est déterminée grâce à un score, appelé FIGO, qui prend en compte des items propres à la patiente, tels que son âge, l’intervalle de temps entre le début de la maladie et le traitement, s’il y a des métastases, etc. "Quand ce score est faible c’est-à-dire inférieur à 6, on donne une monochimiothérapie qui en Europe est la plupart du temps le méthotrexate. On la donne en intramusculaire un jour sur deux sur une semaine, et ce toutes les deux semaines, explique l’oncologue. On administre ce traitement aussi longtemps que le taux d’hCG dans le sang est élevé et lorsqu’il se normalise, on l’arrête après 4 semaines supplémentaires de consolidation considérant que la patiente est guérie". Lorsque le méthotrexate ne fonctionne pas, une autre monochimiothérapie, l’actinomycine D, peut être utilisée.
LE TRAITEMENT PAR POLYCHIMIOTHÉRAPIE
Les TTG présentant un score supérieur ou égal à 7 sont considérées comme à haut risque de résistance à la monochimiothérapie. Dans ce cas, les patientes vont être traitées par polychimiothérapie (plusieurs molécules). "Celle est qui le plus souvent donnée s’appelle EMACO. C’est un mélange de cinq produits de chimiothérapie - l’étoposide, le méthotrexate, l’actinomycine D, le cyclophosphamide et la vincristine qui sont administrés à la patiente toutes les semaines. " Sauf que ce traitement est “extrêmement toxique” : "il fait partie des traitements les plus toxiques que j’ai à donner à mes patients en cancérologie solide, se désole le Pr You. De la même façon, on attend que le taux d’hCG se normalise. Une fois que c’est le cas, on leur donne 4 à 6 semaines de traitement supplémentaire et après on arrête".
L’espoir de l’immunothérapie
C’est là que l’immunothérapie entre en jeu. Afin d’éviter aux patientes résistantes à la monochimiothérapie d’avoir à subir un traitement toxique par polychimiothérapie, "on s’est dit qu’on allait leur donner une option thérapeutique alternative éventuelle. On avait des signaux très forts pour nous dire que l’immunothérapie serait un traitement efficace, celle-ci consistant à stimuler le système immunitaire".
Pour en avoir le cœur net, les Hospices Civils de Lyon et le Centre national de référence des maladies trophoblastiques, dirigé par le Pr François Golfier, se sont unis pour créer l’étude TROPHIMUNN. "C’est un travail d’équipe, insiste le Pr You. Aucun autre pays n’a réussi à faire un tel essai clinique car ils n’ont pas un réseau si bien organisé". L’essai de phase II, consistant en des tests d'efficacité, s’est intéressé à deux groupes de patientes : le groupe A, dont les résultats ont été rapportés à l’ASCO, composé de patientes résistantes à la monochimiothérapie, et le groupe B, composé de femmes résistantes à la polychimiothérapie et pour lequel l’étude est encore en cours.
La molécule d’immunothérapie utilisée était l’avelumab. Quinze patientes se sont vu donner ce médicament toutes les deux semaines en intraveineux, "aussi longtemps que le taux d’hCG était élevé. Quand il était normalisé, on faisait trois cures supplémentaires c’est-à-dire 6 semaines de traitement et ensuite on arrêtait l’avelumab et on surveillait l’hCG. On voulait connaître le pourcentage de patientes qui auraient une normalisation de l’hCG avec l’immunothérapie et qui ne remonterait pas, signifiant que ces patientes seraient vraisemblablement guéries".
DES PATIENTES GUÉRIES ET DES EFFETS SECONDAIRES MODÉRÉS
Sur les 15 patientes, 8 ont pu voir leur taux d’hCG normalisé, sans rechute malgré l’arrêt du traitement. "On a un recul de 29 mois, ce qui est tout à fait satisfaisant puisque quand ces maladies doivent rechuter, elles le font la plupart du temps dans les 6 à 12 mois. On peut donc raisonnablement considérer qu’elles sont vraisemblablement guéries avec un tel recul", se réjouit le Pr You.
Parmi les patientes guéries, 5 auraient dû être traitées par polychimiothérapie. "Ces 5 patientes ont donc échappé à la toxicité et ont vraiment bénéficié de l’avelumab. C’est un résultat fabuleux !". Les effets secondaires de l’immunothérapie étaient en effet beaucoup plus légers que ceux de la chimiothérapie : de la fatigue, des nausées et des vomissements dans seulement 33% des cas, et des réactions liées à la perfusion dans 27% des cas, la grande majorité d’entre eux étant ressentis comme mineurs.
UNE FERTILITÉ PRÉSERVÉE ?
Autre point intéressant de l’étude : les effets sur la fertilité, celle-ci pouvant être compromise après un traitement contre le cancer. "S’agissant de patientes jeunes, il faut qu’on soit vigilant à la question de la fertilité ultérieure. Une patiente de l’étude souhaitait vraiment être enceinte donc on l’a autorisée à arrêter sa contraception un an après la fin du traitement par immunothérapie. Elle est tombée enceinte très vite et a accouché d’un bébé en bonne santé". Le petit Harry se porte bien et fait le tour des médias. "Au-delà du caractère heureux de l’annonce, c’est intéressant car c’est la première description d’une grossesse normale après un traitement efficace antérieur par immunothérapie. Ces données sont plutôt rassurantes, même s’il ne s’agit pas d’une démonstration et que le niveau de preuve est faible".
Quel suivi ?
Les femmes ayant guéri d’une TTG doivent être suivies quelque temps. "On fait une prise de sang toutes les semaines pendant un minimum d’un an pour surveiller le taux d’hCG et s’assurer que la maladie ne se réactive pas. Au-delà d’un an on réduit nettement la surveillance, puisqu’on considère que si ces maladies n’ont pas rechuté dans les 18 mois, les patientes sont guéries".
Des facteurs de risque qui restent inconnus
Au même titre que leur traitement, l’avancée de la recherche sur les MTG pourrait permettre d’en savoir plus sur leurs facteurs de risque, qui restent flous. "On sait qu’il y a des différences d’incidence d’une région du monde à l’autre, on en trouve beaucoup en Asie par exemple, explique le Pr You. En Europe et aux Etats-Unis, c’est moins fréquent. Il y a donc probablement un rôle de l’environnement parce qu’on observe une réduction des risques de môle hydatiforme chez les Asiatiques qui se trouvent dans un environnement occidental. Les patientes qui ont déjà été atteintes d’une MTG et qui tombent de nouveau enceintes ont également un surcroît de risque d’en refaire une, donc on va les surveiller de façon plus intensive. Mais pour la grande majorité, on ne connaît pas la cause".
Sources :
Interview du professeur Benoit You, oncologue aux Hospices Civils de Lyon.
Benoit You et al. Immunotherapy Avelumab Shows Potential in Rare Gynecologic Cancer Resistant to Chemotherapy, May 28, 2020 ( accessible en ligne).