Une publication, parue dans la célèbre revue «Nature», réveille de bien mauvais souvenirs, ceux de l’hormone de croissance contaminée et de la maladie de la vache folle. Elle est signée par le célèbre Pr John Collinge (National Prion Clinic, The National Hospital for Neurology and Neurosurgery, Queen Square, London).La BBC (Michelle Roberts) en a dit, la première, l’essentiel. On lira ici la lettre publiée par Nature, et ici le commentaire qui lui est associé (Alison Abbott). Les troublantes observations de l’équipe de John Collinge et Sebastian Brandner (Department of Neurodegenerative Disease, UCL Institute of Neurology, Queen Square, London) résultent des observations faites après autopsies cérébrales de huit personnes décédées de la maladie de Creutzfeldt-Jakob (MCJ) et qui avaient été traitées par des hormones de croissance contaminées par un prion pathologique.
Autopsies cérébrales
Les chercheurs anglais ont retrouvé dans les tissus de quatre de ces cerveaux les mêmes dépôts de protéine bêta-amyloïde (BA) anormale (amylose cérébrale) que ceux que l’on retrouve dans les tissus cérébraux des personnes victimes de la maladie d’Alzheimer. La présence de cette même protéine a été identifiée dans deux autres cerveaux. Or il s’agissait de malades jeunes, âgés de 36 à 51 ans au moment de leur décès, ce qui est excessivement rare (et correspond à la définition de cette démence précoce décrite en Allemagne par Aloïs Alzheimer il y a un siècle).
Les auteurs avancent d’autre part plusieurs arguments solides en faveur d’une transmission interhumaine de la maladie d’Alzheimer. Difficile, pour l’équipe de Collinge et Brandner, de ne pas émettre l’hypothèse d’une contamination des quatre malades via des protéines bêta-amyloïde anormales déjà présentes dans les hypophyses des cadavres à partir desquelles on préparait, jusqu’au début des années 1980, une hormone de croissance extractive.
Cette hypothèse a une conséquence: la maladie d’Alzheimer pourrait être transmissible (ne pas confondre avec contagieux!). Ce serait là un véritable bouleversement physiopathologique, comme l’avait été en son temps la démonstration de l’hypothèse (au départ inacceptable) développée par Stanley Prusiner quant à la pathogénicité de la protéine-prion.
Le Figaro souligne la parution, le même jour, dans Nature Neuroscience d’une publication expérimentale qui conclut à la possibilité de la transmission de l’amylose chez des souris de laboratoire. «Notre travail suggère que les protéines BA anormales peuvent demeurer assoupies dans le cerveau pendant des années sinon des décennies jusqu’à ce qu’elles déclenchent l’amylose cérébrale», a expliqué au Figaro (Damien Mascret) le Pr Mathias Jucker (Hertie-Institute for Clinical Brain Research de l’université de Tübingen et German Center of Neurodegenerative Diseases).
Ne plus ignorer
Le caractère transmissible de l’amylose cérébrale reste encore à confirmer – il ne peut plus, pour autant, être ignoré, notamment lors de gestes invasifs médicaux ou chirurgicaux. Les menaces inhérentes à la protéine-prion pathologique dépassent la seule maladie d’Alzheimer et pourraient englober d’autres maladies neurodégénératives comme la maladie de Parkinson – une perspective sur laquelle travaille le Pr Stanley Prusiner, prix Nobel de médecine, comme il l’avait expliqué lors de l’émission «Science Publique» de France Culture à l’occasion de la traduction de son dernier ouvrage en langue française1.
Les auteurs britanniques estiment que leurs résultats devraient «soulever des interrogations sur la possibilité d’autres voies de transmission du prion pathologique, y compris les instruments chirurgicaux et les produits sanguins». Pour l’heure, les spécialistes français et les autorités sanitaires britanniques tempèrent la portée du risque. Les affaires de la maladie de la vache folle et de sa forme humaine (après celle de l’hormone de croissance contaminée) ont démontré l’importance majeure qu’il y a ici, au nom de la santé publique, à respecter le principe de précaution.