Des épidémiologistes américaines ont épluché la littérature scientifique pour faire la synthèse des connaissances dans ce domaine. Elles n’apportent pas de réponse à la question, mais elles proposent des pistes qui pourraient permettre la mise en place de systèmes de biosurveillance.Le cancer du sein est, chez les femmes, le plus fréquent et le plus mortel de tous les cancers. Il est donc important de connaître ses facteurs de risque. Un certain nombre d’entre eux –liés à la génétique, à la reproduction, aux hormones, à la sédentarité, à l’alcool notamment– ont été clairement identifiés. Mais la liste ne renferme aucun produit chimique présent dans notre environnement. Si l’on suspecte certains d’entre eux de jouer un rôle dans le cancer du sein, on ne sait pas lesquels agissent, ni à quelle dose ils le font.
C’est dans ce cadre que s’inscrit une intéressante étude publiée récemment par des épidémiologistes américaines dans la revue Environmental Health Perspectives. Cet article, très fouillé, ne répond pas véritablement à la question, mais il ouvre des pistes de recherche pour les chercheurs.
Dix-sept catégories de produits potentiellement cancérigènes
Les quatre chercheuses du Silent Spring Institute, dans le Massachusetts, se sont livrées à un travail de fourmi. Elles ont en effet analysé la littérature médicale et répertorié tous les produits chimiques connus pour avoir un effet cancérigène sur les rongeurs. Puis elles ont essayé de faire un parallèle avec les études épidémiologiques concernant les êtres humains.
Cela les a conduites à regrouper les produits chimiques en dix-sept catégories qu’elles jugent «prioritaires», car les femmes y sont le plus souvent exposées. De nombreux domaines de notre vie quotidienne sont concernés, puisqu’on trouve notamment dans cette liste des substances présentes dans les gaz d’échappement des véhicules, dans les textiles antitaches, dans les produits antifeu (contenus par exemple dans les canapés), dans les décapants pour peinture ou dans des dérivés de désinfectants utilisés pour le traitement de l’eau potable. Ces produits, avec lesquels les femmes sont fréquemment en contact, favorisent-ils pour autant le cancer du sein? Sur ce point, les auteures de l’article ne se prononcent pas.
Dans ce domaine, tout est une question de dose à laquelle les individus sont exposés. Le problème est donc de déterminer à partir de quelle concentration, dans l’air ou dans l’eau, une substance est réellement cancérigène pour l’être humain. L’un des mérites de cette étude est «d’avoir mis en évidence nos lacunes qui, en la matière, sont considérables», commente Fabio Levi, médecin-chef de l’unité d’épidémiologie du cancer de l’Institut universitaire de médecine sociale et préventive du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV) et de l’Université de Lausanne.
Pistes ouvertes pour la biosurveillance
Les épidémiologistes américaines ont fait plus encore. Elles ont répertorié un certain nombre de biomarqueurs –c’est-à-dire des substances chimiques ou des produits issus de leur transformation par l’organisme– dont on pourrait mesurer la trace dans le sang ou dans l’urine. «Elles ouvrent ainsi des pistes qui pourraient permettre d’installer un système de biosurveillance», précise Fabio Levi. Il faudrait pour cela mener des enquêtes dans des populations féminines pour analyser dans leur sang ou leur urine différents biomarqueurs dont on suivrait l’évolution et, en parallèle, mesurer les doses de produits chimiques présents dans l’environnement de ces femmes. Ce serait un bon moyen d’essayer de voir si telle substance augmente le risque de cancer du sein.
Toutefois, la tâche n’est pas simple. Si les professionnels d’un secteur peuvent être soumis à de grandes quantités du produit qu’ils fabriquent ou qu’ils manient, «la population dans son ensemble est généralement exposée à des doses nettement plus faibles, ce qui pose des difficultés pour les études statistiques», constate le médecin du CHUV.
Quoi qu’il en soit, cette étude américaine «présente de manière synthétique et claire des données qui seront très utiles aux épidémiologistes étudiant les risques environnementaux. Nous allons tous probablement les exploiter», constate Fabio Levi.
Ce n’est qu’ensuite qu’il sera peut-être possible, au nom du principe de précaution, de fixer des normes limitant l’émission dans l’environnement de tel ou tel produit chimique dont le caractère cancérigène pour les femmes sera avéré.